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Ann Dermatol Venereol2005;132:718-20Formation médicale continue
Histopathologie cutanée *Carcinomes neuroendocrines cutanés
N. ORTONNE
es carcinomes neuroendocrines
cutanés (CNC) sont des tumeurs
rares de l’adulte et du sujet âgé
qui se développent en zone exposée,
notamment sur les membres, la tête et
le cou. L’histogenèse des CNC n’est pas
connue. Cependant, depuis la décou-
verte de granules neurosecrétoires dans
les cellules tumorales, on considère que
ces tumeurs dérivent des cellules de
Merkel, justifiant l’appellation souvent
utilisée de carcinomes à cellules de
Merkel. Les CNC sont parfois appelées
carcinomes à petites cellules cutanés
primitifs en raison de leur ressemblan-
ce avec les carcinomes à petites cellules
du poumon.
Diagnostic positif
L’aspect histologique permet souvent
de faire le diagnostic, qui doit être
confirmé par les marqueurs phéno-
typiques.
ARCHITECTURE
La tumeur forme le plus souvent un no-
dule qui soulève l’épiderme (fig. 1). Ce-
lui-ci peut être normal, aminci, hyper-
plasique, et parfois ulcéré. Les cellules tu-
morales sont regroupées dans le derme
en amas. Il existe fréquemment, notam-
ment dans les zones les moins fixées, un
clivage au pourtour des cellules, donnant
un aspect ébranlé aux amas tumoraux
(fig. 2). Trois formes architecturales pour-
raient être distinguées : trabéculaire
(fig. 1), à petites cellules (fig. 3) et mixte.
Une infiltration hypodermique est pos-
sible. Les CNC sont rarement épider-
motropes, mais il existe de rares formes
purement intra-épidermiques. Le stro-
ma est souvent peu abondant, avec une
fibrose et un infiltrat lymphocytaire
et/ou plasmocytaire.
CYTOLOGIE
Les CNC sont constitués de petites cellu-
les rondes ou ovales, de taille homogène
(fig. 3), avec des noyaux arrondis vésicu-
leux contenant plusieurs petits nucléo-
les. Le cytoplasme est peu abondant et
amphophile. Les limites cytoplasmiques
sont floues. Parfois, des cellules fusifor-
mes sont présentes. Les mitoses et les
corps apoptotiques sont souvent nom-
breux (fig. 4).
AUTRES CARACTÉRISTIQUES
Les CNC peuvent régresser partielle-
ment ou complètement. Dans les terri-
toires de régression, il y a une fibrose
* Sous l’égide de la Société Française de Dermatologie.
Département de Pathologie, Hôpital Henri Mondor, 94010 Créteil.
Tirés à part : N. ORTONNE, à l’adresse ci-dessus.
E-mail : [email protected]
Fig. 1. Carcinome formant un nodule dermique soulevant l’épiderme, constitué d’amas de petites cellules rondes.
Fig. 2. Carcinome composé de cellules rondes et fusiformes regroupées en travées, entourées par un artefact de rétraction.
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Ann Dermatol Venereol2005;132:718-20Carcinomes neuroendocrines cutanés
avec des histiocytes spumeux et un in-
filtrat lymphocytaire pouvant former
des nodules lymphoïdes. Dans les terri-
toires en cours de régression, il existe
un infiltrat lymphoïde dense avec de
nombreuses cellules tumorales apopto-
tiques.
Les CNC comportent parfois des terri-
toires de différenciation particulière :
épidermoïde, glandulaire, sudorale, mé-
lanocytaire ou musculaire lisse. Parfois,
il y a une triple différenciation épider-
moïde, sudorale et mélanocytaire dans
la même tumeur. Cette capacité de dif-
férenciation suggère que les CNC sont
issus de cellules souches cutanées plu-
ripotentes. Enfin, les CNC sont parfois
associées à d’autres tumeurs : maladie
de Bowen, carcinome épidermoïde ou
basocellulaire, et même kyste épider-
moïde ou trichilemmal.
IMMUNOHISTOCHIMIE
Le diagnostic est confirmé par l’expres-
sion des marqueurs épithéliaux et neu-
roendocrines. Les cellules tumorales
expriment les cytokératines de large
spectre et l’EMA. L’expression des cyto-
kératines (CK) est caractéristique, sous
forme d’amas para-nucléaires. Les CNC
expriment habituellement la CK20. Les
cellules expriment de façon variable les
marqueurs de différenciation
neuroendocrine : synaptophysine,
chromogranine et CD56.
La recherche de l’expression d’hormo-
nes peptidiques, comme la calcitonine,
la gastrine, la somatostatine ou la corti-
cotropine n’est pas nécessaire pour le
diagnostic. Par ailleurs, la metenképha-
line, seul marqueur connu des cellules
de Merkel, n’est pas exprimée par
les CNC.
Diagnostic différentiel
Le principal diagnostic différentiel est ce-
lui d’une localisation cutanée secondaire
d’un carcinome à petites cellules d’origi-
ne pulmonaire dont l’aspect histologique
est identique. Le profil phénotypique
permet le plus souvent de distinguer les
CNC de métastases de carcinomes à pe-
tites cellules pulmonaires. Les carcino-
mes neuroendocrines pulmonaires,
contrairement aux CNC, expriment le
facteur de transcription TTF-1 (thyroid
transcription factor 1). De plus, les CNC
sont habituellement CK7-, CK20+ alors
que les carcinomes d’origine pulmonai-
re sont plus souvent CK7+, CK20-.
Il faut par ailleurs distinguer les CNC
des autres tumeurs cutanées à cellules
rondes ou basaloïdes. Les carcinomes
basocellulaires sont constitués d’amas
tumoraux plus cohésifs, avec un agence-
ment palissadique des cellules basaloï-
des et un artéfact de rétraction à la
Fig. 3. Carcinome composé de cellules rondes avec un foyer de nécrose.
Fig. 4. Cellules tumorales avec un cytoplasme peu abondant et des noyaux ronds, parfois vésiculeux, comportant une chromatine fine et plusieurs petits nucléoles. Il y a des mitoses (pointe de flèche) et des corps d’apoptose (flèche).
Tableau I. – Diagnostic différentiel des carcinomes neuroendocrines cutanés.
Immunohistochimie
CK7 CK20 TTF-1 CD99/MIC2 CD45 PS100
Carcinome neuroendocrinecutané primitif
- + - - - -
Carcinome à petite celluled’origine pulmonaire
+ - + - - -
Carcinome basocellulaire +/- - - - - -Sarcome d’Ewing extra-squelettique/MPNET
- - - + - +/-
Lymphome - - - - + -Mélanome - - - - - +
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périphérie des amas tumoraux. Les sar-
comes d’Ewing ou MPNET (malignant
peripheral neuroectodermal tumors)
sont rares dans la peau et expriment le
MIC2/CD99, en rapport avec une trans-
location chromosomique caractéristique
de ces tumeurs. Certains lymphomes
cutanés sont constitués de cellules ron-
des (lymphomes lymphoblastiques,
lymphomes B à grandes cellules) et peu-
vent ressembler aux CNC. L’absence
d’expression par les CNC de l’antigène
commun leucocytaire CD45 et des
autres marqueurs lymphocytaires
(CD20…) permet de redresser le dia-
gnostic. Les mélanomes à petites cellu-
les doivent aussi être distingués des
CNC. Pour cela la PS100 et les autres
marqueurs de différenciation mélanocy-
taire peuvent être utiles.
Pronostic
Outre le stade clinique, certains élé-
ments, comme la taille de la tumeur et
la localisation à la partie proximale des
membres inférieurs ou sur le tronc, ont
une valeur pronostique. Histologique-
ment, la petite taille des cellules et
l’index mitotique seraient des mar-
queurs de mauvais pronostic.